– Article rédigé par
Milena Gismondi, Avocat-Abogado.
“Simplement, le prêche rendit plus sensible à certains l’idée, vague jusque-là, qu’ils étaient condamnés, pour un crime inconnu, à un emprisonnement inimaginable ». (Albert Camus, La Peste)
Le Décret Royal 463/2020, du 14 mars, qui déclare l’état d’alerte pour lutter contre le COVID-19 (ci-après, le “DR”), par lequel des mesures temporaires de caractère extraordinaire ont été adoptées, a imposé la fermeture au public des locaux commerciaux de vente de produits non- essentiels.
Par conséquent, un grand nombre d’entreprises ont vu leur activité totalement paralysée. Malgré l’existence des nouvelles mesures adoptées par le Gouvernement pour pallier les effets économiques néfastes du coronavirus, pour le moment aucune décision n’a été prise pour résoudre la situation des commerçants qui se sont vus obligés à fermer leurs locaux et qui, se faisant doivent continuer à faire face au paiement de leur loyer commercial (des mesures ont été adoptées en matière de baux d’habitation en faveur des plus démunis).
Mais alors, que faire s’agissant du paiement de ces loyers commerciaux ?
La réalité, c’est qu’aucun des mécanismes dont le locataire dispose pour différer ou suspendre le paiement est évident, et une fois encore, la nécessité de négocier va s’imposer aux Parties.
À notre avis, et sans préjudice de la nécessité de conseiller la prudence, le locataire pourrait faire valoir l’application de la clause rebus sic stantibus, notamment en s’appuyant sur le raisonnement développé dans l’arrêt du Tribunal Suprême du 15 octobre 2014, qui traite d’un contrat de location conclus en 1999 des conséquences économiques de la dernière crise. Ce qui est intéressant dans cet arrêt c’est que le Tribunal justifie l’application de ce principe par référence au caractère exceptionnellement onéreux du contrat, qui du fait du changement des circonstances « comporte des pertes réitérées (non-viabilité économique) ou à la disparition de toute marge de bénéfices (absence du caractère rétribué de la prestation) ». Sur cette base, le Tribunal Supreme considère que la réduction de 29% du montant du loyer serait justifiée et ce dans un souci d’équilibre économique du contrat.
Si le Tribunal Supreme estime qu’il convient d’appliquer la clause rebus sic stantibus dans un contexte de crise économique, nous ne voyons pas pourquoi il ne devrait pas être applicable quand l’activité commerciale est inexistante du fait d’une norme impérative du Gouvernement, à la suite d’une pandémie mondiale.
En ce qui concerne la force majeure, elle n’a pas lieu d’être ici, compte tenu du fait que conformément à la jurisprudence, l’impossibilité d’exécuter une obligation contractuelle par suite d’un cas fortuit ou force majeure n’est pas applicable au paiement de sommes d’argent (arrêt du Tribunal Supreme du 19 mai 2015).
Une analyse intéressante que nous souhaitons enfin mentionner est celle de Josep Maria Espinet dans son article « Le COVID-19 et la suspension du paiement des loyers commerciaux », dans lequel, il nous rappelle de façon très juste, que si l’obligation essentielle du locataire dans un contrat de location est celle du paiement du bail, celle du propriétaire est de permettre l’utilisation paisible du local (art. 1554.3 du Code Civil). Par conséquent, compte tenu du fait que le DR empêche le locataire d’exploiter le local, le bailleur se trouve dans l’impossibilité malgré lui d’exécuter son obligation principale, ce qui en raison de la nature synallagmatique du rapport juridique du contrat, devrait permettre au preneur de s’opposer au paiement du loyer.
Toutes ces interprétations sont bien entendu sujettes à discussion, et il sera important de bien définir les termes d’un accord entre les parties (sur le fondement de la bonne foi, laquelle, même si toujours impérieuse, dans ces temps incertains est encore plus fondamentale) afin de ne pas se retrouver face à de mauvaises surprises une fois les mesures du DR levées et le recours aux tribunaux à nouveau possible.
Par ailleurs, en France, conformément à l’ordonnance 2020-316, du 25 mars 2020, certaines personnes physiques et microentreprises ne pourront encourir de pénalités (résolution contractuelle, clauses pénales, activation de garanties, intérêts de retard …) du fait du non-paiement des loyers commerciaux, mesures visant les paiements des échéances intervenant à compter du 12 mars 2020 et les deux mois qui suivront la fin de l’état d’urgence.
Les personnes physiques et sociétés qui pourront bénéficier de cette mesure sont celles réunissant les conditions prévues par l’art. 1 du décret 2020-371, du 30 mai (entre autres, elles ne doivent pas dépasser certains seuils de chiffre d’affaires et nombre de salariés).
L’étude de cette réglementation laisse apparaitre que les locataires ne seront pas cependant dispensés de l’obligation de paiement, ce qui signifie qu’une fois l’état d’urgence levé, les propriétaires pourront engager toute action permettant le recouvrement des retards ou défaut de paiement.
S’agissant des (nombreuses) entreprises qui ne vont pas pouvoir profiter de l’ordonnance, il ne leur restera autre choix qu’essayer de parvenir à un accord sur la base des principes juridiques visés ci-dessus, et ce avec les particularités que la jurisprudence française impose pour chacune d’elles.