– Article rédigé par

Milena Gismondi, Avocat-Abogado.

Covid-19 - deconfinement phase 1 - activite economique espagne - Lexwell Poignon

Si en règle générale les questions qui se posent en matières immobilières sont nombreuses, au temps du coronavirus (avec la déclaration de l’état d’alerte et les mesures extraordinaires qui l’accompagnent) les doutes et les questions soulevées ces derniers jours peuvent finir par sembler innombrables.

Plus d’une personne se trouvera dans la position délicate d’avoir signé un compromis de vente (« contrato de arras », et versé les arrhes entre les mains du vendeur), une date limite pour signer l’acte authentique devant le notaire et à l’horizon un scénario incertain. Cela tout spécialement lorsque l’on sait que la pratique habituelle en Espagne est de payer les arrhes directement entre les mains du vendeur. Il existe pourtant la possibilité de séquestrer les sommes chez le notaire, mais cela n’arrive que très peu en pratique (possibilité qui est d’ailleurs expressément prévue dans le Code Civil Catalan à l’article 621-8 du Livre six).

En ce sens, il convient de remarquer que, contrairement à ce qui est l’usage en France, les contrats en Espagne manquent de prévisibilité et ne contiennent que très rarement des conditions suspensives.

Les questions qui viennent immédiatement à l’esprit (parmi tant d’autres) sont les suivantes : la possibilité ou non de se rendre chez le notaire ou encore, de pouvoir obtenir le financement, le cas échéant.

Reprenons donc étape par étape : En ce qui concerne les notaires, l’ordre des notaires espagnol a émis un avis expliquant que durant la crise du COVID-19, les notaires ne pourront intervenir que « s’agissant d’interventions urgentes, définies par le gouvernement ». Si la date de signature avait été fixée avant la déclaration de l’état d’alerte et le rendez-vous avec le notaire confirmé, il est fort probable que ce rendez-vous soit maintenu. Dans le cas contraire, il faut tenter sa chance. On peut présumer qu’au regard des circonstances décrites (le délai de réitération de l’acte authentique sur le point d’arriver à terme et le risque de perdre les arrhes versées), le notaire accepte de nous recevoir en son étude.

L’Ordre des agents immobiliers de Catalogne (API) dans son communiqué du 26 mars dernier, indique que les agents immobiliers ne pourront se rendre aux signatures chez le notaire durant l’état d’urgence, leur présence n’étant pas obligatoire.

En France, les études notariales sont fermées au public depuis le 18 mars dernier et certains actes peuvent encore avoir lieu à distance par voie électronique. Il s’agit là d’un outil qui vaudrait bien la peine d’être copié au pays voisin, une fois que cette crise sera derrière nous.

Si l’acheteur est sur le point d’obtenir un financement bancaire, les choses peuvent se trouver ralenties et se compliquer. Les succursales des banques fonctionnent toujours, mais en sous-régime, car le personnel du secteur bancaire n’a bien évidement pas été épargné par la pandémie et les succursales consacrent beaucoup de temps et de ressources à la lutte contre le virus. Il n’est donc pas du tout étonnant en cette période de se retrouver face à des retards inhabituels.

C’est évidemment facile de le dire après coup, mais il faut toujours veiller, dans le cadre des contrats d’arrhes, à introduire une condition suspensive d’obtention du financement, et ce afin d’éviter de mauvaises surprises.

En ce sens, en Catalogne, l’article 621-49 du livre six du Code Civil Catalan, relatif aux obligations et aux contrats, dispose que si un contrat sous-seing privé pose comme conditions suspensive l’obtention d’un financement, il est possible -sauf clause contraire- de sortir du contrat en justifiant, dans le délai convenu d’avoir reçu une lettre de refus de la banque (chaque fois que la non-obtention du financement n’est pas imputable à la négligence de l’acheteur).

Il s’agit d’exemples concrets des difficultés que soulèvent ces contrats (nous viennent à l’esprit d’autres hypothèses comme par exemple, la question des déplacements de personnes qui vivent dans une ville et doivent se rendre dans une autre pour la signature ou encore qui résident à l’étranger (sans avoir donné de pouvoir de représentation). En effet qui pouvait anticiper la fermeture des frontières et l’annulation massive des vols ces dernières semaines ?)

Tout cela pour dire qu’évidement, il vaut mieux essayer de parvenir à un accord entre les parties pour proroger le délai du contrat d’arrhes. Mais que se passe-t-il si le vendeur refuse ?

A notre sens, cette crise sanitaire sans précédent réunit tous les ingrédients de ce que la haute juridiction espagnole considère nécessaire pour constituer un cas de force majeure (article 1.105 du Code Civil) comme cause exonératoire d’exécution contractuelle, à condition bien entendu que la signature du compromis soit intervenue avant l’explosion de la pandémie. Mais bien entendu, la discussion est ouverte et certain indique avoir prévu avant tout le monde les effets dramatiques que cette maladie allait avoir sur nos vies.

Mais si nous sommes un tant soit peu réalistes : qui pouvait s’imaginer un mois en arrière que nous nous retrouverions dans une pareille situation ?

De plus, il est évident qu’ici également, nous sommes en présence du critère d’extériorité, nécessaire pour pouvoir considérer l’existence du cas de de force majeur.

Cette conjoncture, nous replonge dans les principes généraux du droit et nous poser la question de la prépondérance (ou non) de pacta sunt servanda face au principe rebus sic stantibus.

Nous pensons qu’il est possible de défendre l’application de la doctrine rebus sic stantibus.

Il est vrai que traditionnellement, la jurisprudence est venue dire qu’une crise économique ne peut altérer les conditions du contrat et que l’application du principe de rebus doit être exceptionnelle. Mais il est évident qu’aujourd’hui nous ne faisons pas seulement face à une crise économique, mais également à une pandémie mondiale qui a obligé le gouvernement à adopter les mesures les plus restrictives jamais prises dans notre démocratie.

Mais enfin et pour finir, une dernière idée qui nous vient à l’esprit : en vertu de la disposition quatre du Décret Royal 463\2020, du 14 mars, qui déclare l’état d’alerte pour lutter contre le COVID-19, tous les délais de prescription et de caducité de quelque action ou droit que ce soit sont suspendus durant tout le délai de l’état d’alerte et ses prorogations éventuelles.

Quelle est la nature du délai convenu dans un contrat d’arrhes sinon un délai de caducité ? C’est en tout cas ainsi que l’interprète la jurisprudence du Tribunal Suprême (STS 17 juin 2008).

Nous pensons donc qu’il serait éventuellement possible d’alléguer la suspension du délai prévu dans le contrat d’arrhes, délai qui recommencera à courir une fois que l’état d’alerte sera levé.

Afin de corroborer notre interprétation, nous pouvons nous référer à l’explication donnée par le Ministère de la Justice espagnol sur la marche à suivre une fois que l’état d’alerte sera levé s’agissant des délais de procédure (il s’agit de la troisième disposition et non pas de la quatrième qui nous intéresse). Cette circulaire est intéressante, car cela permet de comprendre l’effet de la suspension (qui au bout du compte est commun pour les délais de prescription et de caducité) : le délai se « « congèle dans le temps » à un moment déterminé dû à un obstacle ou une cause légale, se réactivant dans la même état que, lorsque l’obstacle ou la cause légale aura disparue et précise (pour si de besoin), si un délai de 30 jours est suspendu au bout des 15 premiers jours, il reprendra son cours ensuite pour les 15 jours restant à courir. »

Il s’agit bien entendu de pistes de réflexion et nous pourrions consacrer de nombreuses heures pour chaque cas particulier, afin de savoir si l’une ou l’autre des hypothèses développées lui est ou non applicable.